L'Aube, l'Yonne et le Loiret

Découvrez notre territoire, les entreprises, les artistes et les lieux qui en font la richesse

Latest Recipes

Latest Tweets

La Maison à l’Arbre de Jessé

S’il est un élément caractéristique de Joigny, c’est bien son ensemble architectural post-médiéval, ses fameuses maisons à pans de bois. Notre cité peut se targuer de posséder, en son centre, quelques-uns parmi les spécimens les plus remarquables de la région. On n’y recense en effet pas moins de huit maisons, toutes postérieures au grand incendie de 1530 (rue H. Bonnerot, rue G. Cortel, rue du Loquet, place du Pilori, maison de l’Ave Maria rue Bourg-le-Vicomte, maison à l’Arbre de Jessé rue Montant-au-Palais, maison des Sept Têtes rue du Loquet, et Maison du Bailli rue Montant-au-Palais).

A ce titre, la maison à l’Arbre de Jessé, par son architecture et son iconographie toute particulières, compte assurément parmi les demeures les plus essentiellement constitutives et immédiatement représentatives de l’image de la ville. Élevée, elle aussi après 1530 (le comte de Joigny avait alors permis aux Joviniens d’utiliser le bois de la forêt d’Othe pour la reconstruction), elle jouit d’un emplacement « stratégique » à l’angle de deux rues (croisement des deux axes nord/sud et est/ouest menant aux quatre portes de la ville) -d’où ce pan coupé sous pignon propice à une iconographie unique, visible, qui plus est, quel que soit l’angle sous lequel on l’aborde. Tant il est vrai aussi que, pour tout propriétaire soucieux de faire-valoir et de représentation, une maison de bois était, bien plus qu’une maison en pierre, apte à recevoir une ornementation valorisante, reflet de ses ambitions sociales.

A la différence de la majorité des maisons, peu profondes, car disposées en lanières, qui présentent donc au passant un mur gouttereau (et non un mur pignon), la maison à l’Arbre de Jessé déploie sa façade côté rue; elle a donc « pignon sur rue » (tout comme la maison de l’Ave Maria ou la maison du Bailli), au bénéfice, certes de l’ensoleillement et de la luminosité, mais aussi de l’ornementation, qui trouve là matière à s’épanouir. On peut donc dire que l’on est en présence ici de l’un des rares exemples typiques de maisons dont l’architecture est tout entière mise au service du décor, et qui sont, de ce fait, en la possession des propriétaires les plus aisés. Le thème iconographique ici représenté – l’Arbre de Jessé – a d’abord connu une grande fortune au XIIe siècle, aussi bien dans les vitraux, et ce jusqu’au début du XVIe siècle (déambulatoire de Saint-Denis vers 1140, vitraux de Sens, Auxerre, Autun…..) que dans la pierre et les arts mineurs tels que l’ivoire, le parchemin, l’orfèvrerie ou l’émail.

  • Si le thème figuré est partout le même (la parenté du Christ, mentionnée chez Isaïe et dans les Evangiles de St-Matthieu et St-Luc, qui décrivent l’ascendance du Christ à partir d’Abraham), il revêt différentes formes et connaît une grande variété de représentations (en ce qui concerne le nombre de rois et la présence des prophètes) : de 42 personnes chez Matthieu (qui remonte à Abraham), il passe à 76 chez Luc (qui remonte à Adam!). La Renaissance, quant à elle, accorde une plus grande place à la Vierge à l’Enfant, tout en mettant en avant l’idée de filiation (les prophètes faisant alors, ni plus ni moins, figure d’ancêtres du Christ).

  • Mais ce qui fait l’intérêt et la spécificité de la maison à l’Arbre de Jessé, ce n’est pas tant le thème abordé (somme toute assez courant à l’époque, on l’aura compris, mais dont la représentation dans la sculpture sur bois est plutôt rare, si l’on excepte la Maison d’Abraham à Sens), que le raffinement et la qualité de sa sculpture, laquelle s’apparente à celle de la région troyenne par l’usage qu’elle fait du pilastre, censé imiter l’architecture de pierre. Elle est la seule aussi, se différenciant en cela de toutes les autres, car plus tardive (1540-1550), à présenter le projet iconographique, sinon le plus abouti, en tout cas le plus ambitieux en même temps que le plus savant.

 

Le raffinement de l’ornementation et la qualité de l’exécution font immanquablement penser au travail de sculpteurs confirmés : ainsi les pilastres Renaissance rue Montant-au-Palais, de même que les niches aux dais Renaissance décorées de coquilles Saint-Jacques finement ouvragées, où la flore représente un thème d’inspiration on ne peut plus prolifique et quasiment inépuisable, car susceptible de variantes déclinées à l’envi tant dans la nature des éléments (feuilles, rameaux, fleurs épanouies ou en boutons, lis, marguerites, rinceaux d’acanthe, fruits….) que dans leur nombre ( corolles, pétales….).

Dans la partie basse du poteau central, on reconnaîtra Jessé (représentant la lignée des rois de Juda), de la poitrine duquel sort le tronc d’un arbre. Apparaissent ensuite David avec sa harpe, Salomon, et au sommet, la Vierge qui émerge de la corolle d’un lis. Abritée sous un dais orné d’une coquille, elle porte l’enfant Jésus sur son bras droit. Plus difficiles sont en revanche, de bas en haut, l’identification du prophète Isaïe, d’Athala, reine de Juda, puis celle de quatre autres statues, méconnaissables. A gauche du tronc, parmi sept autres personnages bibliques suggérés, tous portant de longues tuniques, seul est identifiable Jérémie. Mais plus encore, il faut noter qu’il s’agit ici d’un arbre incomplet : n’y sont en effet représentés que 14 ou 15 personnages sur les 42 habituels, d’Abraham à Jésus.

Pour ce qui est de la dénomination de la maison, il faut mentionner que le nom fait généralement référence au lieu de son implantation ou à une double entente de son iconographie (cf. la maison des Nos 15 et 17 rue G. Cortel représentant St-Jean qui « porte la tine », allusion à la « Porte Latine » où l’apôtre fut supplicié). Reste à se demander quelle peut être l’éventuelle signification cachée du nom de « Jessé », certains suggérant – hypothèse certes tout à fait plausible et séduisante, mais somme toute difficilement recevable en l’absence de toute confirmation en l’état actuel de nos connaissances – qu’il serait la retranscription phonétique des initiales de son propriétaire, un certain G.C (rien à voir en tout cas, et pour cause, avec le Gabriel Cortel de la rue adjacente éponyme !).

Quant à l’interprétation de l’Arbre de Jessé lui-même, on peut émettre, dans la même veine, l’hypothèse qu’il représente un compagnon passé maître, accompagné de ses élèves, qui seraient ses enfants, arguant du fait que les compagnons ont pour protectrice la Vierge à l’Enfant, qui occupe de fait une position dominante tout en haut de l’arbre.
Aussi remarquable soit-elle, cette magnifique maison a bien failli disparaître à tout jamais, soufflée par l’explosion de gaz de 1981, qui n’a fait miraculeusement que deux victimes, mais occasionné des dégâts considérables dans la ville, entraînant la disparition de nombreuses maisons et de la Cour des Miracles, et qui, toutes proportions gardées, compte, entre autres avec le grand incendie de 1530 et le bombardement de 1940, assurément parmi les heures sombres de notre cité.

Pendant des années, elle a offert au passant un spectacle de désolation, avec ses façades et sa toiture éventrées, l’appareillage de poutres qui la soutenait pendant dans le vide, et il aura fallu toute la patience et le savoir-faire du maître-charpentier Robin de Fontainebleau, sous la direction de Bernard Collette, architecte en chef des Monuments Historiques, pour la sauver et lui redonner tout son lustre. Elle a certes depuis lors quelque peu changé d’aspect (elle a hélas perdu son étonnant galandage de briques sombres, et vu la teinte de ses poutres éclaircie), mais elle a su garder toute sa typicité.

Souhaitons donc à ce fleuron de notre patrimoine d’échapper à tous les outrages et vicissitudes du temps, traversant les siècles sans encombre pour continuer ainsi, longtemps encore, par-delà les générations, à susciter l’intérêt et l’admiration de ses visiteurs.

Photos prises à Joigny, le vendredi 22 mai 2020,

Appareil photo dans la main droite, le coup de pouce de Céline dans l’oreille gauche, au téléphone. En toute proximité, les bons mots de notre premier vendeur E-shop de la plateforme, avec qui j’ai RDV. Si les photos vous plaisent, c’est bien de leur faute car ils ont illuminé mon côté sombre !

Notre ami J’ean-Yves Guillaume nous avait également proposé un texte délicieux sur le château des Gondi à retrouver sur ce lien.